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EEYHE

BRITArSISlQï

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TYPOGRAPHIE HENNUYER, RUE DU BOULEVARD, 7. BATIGNOLLES.

fSoulovard extérieur de l'aris.

REVUE

BRITANNIQUE

REVUE INTERNATIONALE

CHOIX D'ARTICLES

extraits des meilleurs écrits périodiques

DE GRANDE-BRETAGNE ET DE L'AMERIQUE

COMPLÉTÉ PAR DES ARTICLES ORIGINAUX

SOUS LA DIRECTION DE M. AMÉDÉE PICHOT.

ANNÉE 1858. -HUITIÈME SÉRIE.

TOME CINQUIÈME.

PARTS

AU BUREAU DE LA REVUE, RUE NEU VE-SAINT- AUGUSTIN , 60.

ROTTERDAM

CHEZ M. Kl. AME H S, Libraire-Édileur.

MADRIP

CHEZ BAILLY-BAFLLIÈRE,

Libraire de Leurs Majestés.

NOUVELLE-ORLÉANS, A I.A LIBRAIRIE NOUVELLE.

1858

SEPTEMBRE 1858.

REYUE

BRITANNIQUE

QUESTION COLONIALE. - HISTOIRE CONTEMPORAINE.

L'ALGÉRIE

00

LAFRIQUE FRANÇAISE.

§1".

Il est sur les bords de la Méditerranée certains points l'O- rient et l'Occident semblent se donner rendez-vous. Là, tout frappe d'étonnement le voyageur qui y aborde pour la première fois. Par Orient, nous n'entendons pas précisément ce que les cartes de géographie désignent sous ce nom ; c'est une dénomi- nation que nous appliquons aux pays qui portent le cachet du mahométisme et du christianisme grec, tandis que, par Occi- dent, nous voulons indiquer ces contrées civilisées de l'Europe moderne, oii le costume, l'architecture et toutes les manifesta- tions extérieures de la vie sociale, quoique différentes entre elles, sont cependant uniformes lorsqu'on les oppose à celles

6 REVUE BRITANNIQUE.

domine soit le Koran soit le christianisme oriental. Ainsi, d'un côté, rOccident pour nous s'étend jusqu'au rivage le plus oriental de la Baltique et, en longeant le Danube, jusqu'à Bel- grade; et d'un autre, l'Orient embrasse tout le nord de l'Afrique jusqu'au détroit de Gibraltar.

De ces points de rencontre, bien peu sont plus remarquables que Gibraltar même. Le pas mesuré des sentinelles en habit rouge, les débits de bière et de porter, les steamers anglais qui l'approvisionnent de charbon, les groupes de jeunes officiers qui se réunissent pour aller chasser sur le Calpé forment un des côtés du tableau ; les fruits et les marchandises d'Afrique, le juif de Mogador en babouches et accroupi, le Maure, la tête ceinte du turban, se promenant sur l'esplanade des pyramides de bou- lets alternent avec des touffes vertes de palmiers nains, en for- ment l'autre ; tandis que le contrebandier andalous et le muletier au classique sombrero, à l'inséparable cigarito, sont comme des chaînons intermédiaires pouvant se rattacher presque indiffé- remment à l'Orient ou à l'Occident. Malte est un autre lieu les traits caractéristiques de l'Orient, rapprochés de leurs con- traires, présentent un contraste non moins frappant. Les quais sont couverts de matelots grecs aux calottes rouges, aux hauts- de-chausses bleus ; le langage parlé aux marches de Nix man- (jiare est un arabe corrompu ; les toits des maisons sont plats ; mais dans les rues circule une population européenne des plus variées, au milieu de laquelle l'élément anglais prédomine. Un troisième point de rencontre, c'est Venise. Qui n'a entendu parler de l'effet des orchestres militaires autrichiens sur cette place dont les caractères principaux sont les arcades byzan- tines et les brillantes mosaïques de Saint-Marc ? Il est facile de se figurer quel singulier rapprochement offrent une station de chemin de fer avec tout son mouvement et un couvent de moines arméniens dans une île. Nous pourrions à cette liste ajouter quelques noms, tels qu'Athènes, Corfou et naturelle- ment ('onstantinople ; mais, de tous les théâtres l'Orient et l'Occident se coudoient, aucun ne présente un spectacle plus merveilleux qu'Alger. Te serait rester do beaucoup au-dessous de !;i vérité que de présenter Alger comme la Malte française ou le Gibraltar français, et cela non pas seulement parce qu'Alger

l' ALGÉRIE. 7

est plus grand et plus populeux que la ville du Hocher, ou parce que sa magnifique ceinture de verdoyantes villas manque absolument à la Valette ; ni à Malte ni à Gibraltar on ne re- marque un contraste aussi saisissant que celui qui existe entre les allures de la plus vive des nations de l'Europe et le farouche et sauvage mahométisme qui règne encore sur plus de la moitié de l'Afrique septentrionale. Que si, aux Maures et aux Français, dont les physionomies si différentes donnent au tableau une expression des plus caractéristiques, on ajoute toutes les autres variétés de la race humaine qu'on peut voir tous les jours dans les rues et aux environs d'Alger, Kabyles, Arabes, Turcs, juifs, nègres, bateliers maltais, ouvriers mahonais, aventuriers ita- liens et allemands, on a sous les yeux le plus curieux ensemble qu'on puisse imaginer.

S'il fallait autre chose pour exciter l'intérêt que iioiis inspire Alger, nous le trouverions dans les grands faits qui rattachent cette colonie aux événements les plus remarquables de l'his- toire contemporaine et aux épisodes émouvants de la guerre de Crimée. Le costume des zouaves rappelle les scènes au miheu desquelles ce corps a été primitivement organisé. Longtemps avant la bataille de l'Aima, le monde connaissait l'énergique patience et l'indomptable courage de ces soldats. Les rapports du maréchal Bugeaud sur la campagne de Kabylie nous avaient fait faire connaissance avec « la gaie vivandière au petit chapeau ciré, bravement campée sur son cheval et plaisantant à cœur- joie avec ses compagnons de route, pendant qu'une grêle de balles fait voler de toutes parts les branches des oliviers. » Tous les généraux français qui ont joué un rôle éminent à Paris de- puis 1848 avaient fait leur apprentissage dans les campagnes d'Algérie : Bedeau, qui a été blessé dans les terribles journées de Juin, deux jours avant la mort de l'archevêque de Paris; Ca- vaignac, à qui l'Europe alarmée par une révolution démocratico- sociale fut redevable de six mois de repos comparatif; Oudinot, qui arracha Rome à 3Iazzini et à Garibaldi ; et Lamoricière et Changarnier, et tant d'autres dont les noms sont aujourd'hui familiers dans tous les villages de l'Angleterre : Baraguay d'Hil- liers , Saint-Arnaud , Canroberl , Bosquet , Pélissier !

Jetons un coup d'œil sur l'aspect extérieur d'Alger et de l'Ai-

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gérie, avant d'esquisser l'histoire de cette partie de la côte d'A- frique et d'interroger l'avenir sur les destinées probables de la colonie conquise par la valeur française. Le premier matin que le poëte Campbell s'éveilla dans Alger, ce fut le cri monotone du muezzin qui l'arracha au sommeil ^ ; aujourd'hui, le roule- ment des tambours français devance la prière du musulman. Le fds de Mahomet continue de se retirer devant le conquérant chrétien ; chaque jour Alger se transforme ; encore un peu de temps, et la ville des deys ressemblera à la première ville venue de la Provence ou du Languedoc.

Quand on l'approche du côté nord ou qu'on la découvre du pont d'un steamer venant d'Alexandrie, Alger « la belliqueuse, » Alger, « la fdle du pirate, » apparaît comme une ville de craie, de forme triangulaire, appuyée sur le versant d'une chaîne de collines verdoyantes, derrière lesquelles s'étagent les crêtes éle- vées et lointaines du sombre Atlas. A mesure qu'on arrive, ses groupes de maisons à terrasses, jalonnées de minarets, de cou- poles et de cimes de palmiers, donneraient l'idée d'une ville tout à fait mahométane, n'était cette activité européenne qu'on remarque à bord des navires de tout pavillon qui remplissent le port; n'étaient les bateaux à vapeur, le môle gigantesque, le phare et les vastes casernes françaises, qui rappellent bien plu- tôt Manchester que le Maroc. Dès qu'on met pied à terre, tous les éléments de contraste que nous venons d'indiquer frappent l'œil dans une succession rapide , et se multiplient à mesure que l'on avance dans les rues. Le plan général et la distribution de la ville sont faciles à tracer. Les principales voies de com- munication ont dû, dans tous les siècles, suivre l'étroit espace de terrain uni qui s'étend entre la colline et le port ; ce qui fut autrefois le forum romain, puis le bazar arabe, et plus lard ce- lui des Turcs, est occupé aujourd'hui par la vaste et belle place qui , après s'être appelée place Royale et place Nationale , s'appelle aujourd'hui place Impériale, et plus habituellement place du Gouvernement. La portion de la ville bâtie sur terrain plat est d'une architecture presque aussi française que celle du boulevard des Italiens, tandis que la partie montante a un

1 Lii lloviic liritannique ;i imlilié, il y ;i (léj;! vingt ans, les Lettres lie Tli. Garapbell sur Alger.

L ALGERIE. 9

caractère tout aussi mauresque que Fez ou Maroc. Cependant il n'est pas besoin de sortir du quartier modernisé d'Alger pour rencontrer toutes les variétés de la curieuse population de cette ville. « Pour nous rendre du quai à notre hôtel, dit un touriste, à la date de 1848, nous avons eu à nous frayer un chemin à travers une foule bigarrée de soldats français, de négresses, d'A- rabes demi-nus, de marchands de tout genre... Nous avons reçu nos lettres d'Europe à une fenêtre aux minces colonnettes de marbre, rappelant un état de société en contradiction directe avec toutes les idées admises chez nous d'un bureau de poste. Nous avons jeté un coup d'œil, c'est tout ce qu'elle mérite, à la cathédrale inachevée. Nous sommes entré dans une autre église, qui avait été autrefois une mosquée ; un prêtre y disait la messe à une assemblée de Maltais, et, à voir le suisse se promener de long en large, le chapeau sur la tête, on aurait pu se croire en plein catholicisme parisien. D'autres mosquées sont restées ce qu'elles étaient sous les Turcs, à cela près qu'elles peuvent être visitées aujourd'hui impunément par les chrétiens. En entrant, le voyageur s'entend donner en français parles fidèles mahométans le laconique avis : « sans souliers *, » et, une fois qu'il s'est déchaussé, il peut à son gré, et sans crainte d'être dérangé, s'asseoir ou se croiser les jambes sur les nattes et lire sa traduction du Koran... De la mosquée nous allons nous présenter chez le gouverneur français, et nous le trouvons traitant les affaires militaires et politiques de la co- lonie, dans un palais des deys qui a conservé intacts ses frais escaliers et son pavé de porcelaine, sa vaste cour centrale et ses arcades en fer à cheval, soutenues par des colonnes torses en marbre blanc. Au moment oii nous remontons lentement la rue, un jeune gamin mahométan court après nous, insistant pour cirer, nos bottes. Nous regardons dans une boutique et nous y voyons une jeune fille aux yeux noirs, aux longues boucles de cheveux, vendant des gants à un jeune officier de dragons. Nous

' Aujourd'hui les mahométans d'Alger sont plus tolérants encore. En 1856, nous avons pu mainte fois entrer tout botlé dans les mosquées d'Alger; et à Constantine, accompagné, il est vrai, du savant professeur Cherbonneau, l'ami de tous les Arabes influents de la ville, nous avons grimpé dans tous les minarets, oii le muezzin annonce au.x vrais croyants l'heure de la prière. O.S.

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passons à un bazar et nous remarquons un Maure et un juif oc- cupés à jouer aux échecs. La position relative de ces deux élé- ments de la population algérienne est aujourd'hui étrangement changée ; le juif a fait le Maure échec et mat. Si nous nous in- formons de l'état de l'éducation, on nous montre du doigt un collège qui était autrefois une caserne de janissaires. Nous pas- sons devant un autre vaste édifice, qui est un noble hôpital, et nous voyons des sœurs de charité remplissant avec calme leur office de bienfaisance. Au premier coin de rue, nos yeux s'ar- rêtent sur un omnibus plein de femmes mahométanes enve- loppées de longs voiles, sur le point de se rendre au faubourg de Mustapha. Que de pensées fait naître immédiatement cette antithèse de la femme élevée au plus haut rang, parce qu'elle se fait la servante de tous, et de la femme descendue au degré le plus infime de l'esclavage et de la dégradation ! Mais quelle va- riété, lorsque vient le soir, offrent les groupes qui remplissent la grande place autour de la statue du duc d'Orléans, modelée par Marochetti ! Des dandys juifs aux turbans bleus, aux vestes brodées d'or, aux doigts surchargés de bagues ; des juives à la coiffure bizarre que la plume doit renoncer à décrire ; et puis les ceintures rouges, les visages bronzés et heureuît des ouvriers rainorcains, rentrant, après le travail de la journée, des jardins qui entourent la ville ; ici, un nègre et un Kabyle portant un baril sur une perche dont chacun tient un bout ; là, le propret tabher blanc et le coquet madras que les Françaises savent seules porter ; des zouaves, avec leurs larges pantalons rouges et leurs vestes bleues ; des indigènes, dont l'uniforme ne se distingue de celui des zouaves que par la couleur; des spahis à la veste rouge, à la botte molle par-dessus le pantalon bleu ; des chasseurs d'Afrique, des chasseurs de Vincennes et d'autres échantillons des divers corps de l'armée qui maintient l'Algérie soumise à la France. Ce n'est qu'une esquisse im- parfaite de la mascarade animée qui nous environne. Nous pourrions ajf)uler quelques détails i>articuliers à l'année 1848, tels que les mots magiques de Proprièlé nationale, Liberlè, EfiaUlr, Fraternilé, inscrits en gros caractères même sur les mosquées, et des escouades de gardes nationaux présentant une singulière variété d'accoutrements, les uns chaussés de souliers,

L ALGERIE. H

les autres de pantoufles jaunes, rassemblés pour la parade au- tour des arbres de liberté ; mais c'étaient des scènes du moment. »

Tandis que la partie basse de la ville est aussi animée qu'une ville d'Europe, la partie haute, comme nous l'avons déjà dit, repose dans le calme et l'impassibilité de son ancienne existence orientale. Ce contraste marqué d'ombre et de lumière ne doit pas être oublié dans le tableau à côté des scènes diverses qui caractérisent la portion que nous avons étudiée jusqu'à pré- sent. Si donc nous gravissons la colline et que nous pénétrions dans la vieille ville, nous nous trouvons tout à coup en face d'un spectacle aussi mauresque que celui que peut nous pré- senter Tétouan, et plus pittoresque de beaucoup. Les rues sont toutes étroites et escarpées ; elles ressemblent plus à des esca- liers qu'à des voies publiques, et tournent à droite, à gauche, sans plan ni but. Les maisons sont très-hautes ; leurs étages su- périeurs en saillie sont soutenus extérieurement par des poutres s'arc-boutant obliquement sur le mur d'aplomb. Partout on goûte une délicieuse fraîcheur. Les quelques hommes à la tète entur- banée que vous rencontrez semblent plutôt absorbés dans la contemplation qu'occupés d'un travail quelconque. Les femmes, qui de toute leur personne ne laissent voir que les yeux, ont Tairde fantômes ambulants. On peut errer longtemps dans ces hauts quartiers et se perdre dans leur tortueux labyrinthe de ruelles silencieuses, pour finir, au moment l'on s'y attend le moins, par déboucher sur la Casbah. Ce palais principal des deys turcs est situé tout en haut de la ville ; c'est qu'est con- servé (comme le fameux moulin à Postdam ou comme la maison de Pierre le Grand à Saardam) le kiosque oi^i le consul de France, M. Deval, reçut ce coup d'éventail qui a amené la conquête de tout le territoire turc situé entre le Maroc et Tunis.

Maintenant voulons-nous embrasser dans son ensemble l'é- tendue de pays qui reconnaît Alger pour capitale? Montons la route escarpée et sinueuse construite par le duc de Rovigo, jus- qu'à ce que nous ayons atteint un des plus hauts sommets de la chaîne de collines sur laquelle la ville est bâtie en partie et qui, à droite et à gauche, longe le rivage sur une étendue de plusieurs lieues. Cette chaîne se nomme le Sahel, et c'est le premier trait

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caractéristique de la géographie physique des environs d'Alger. Quelque nu et brûlant que soit l'aspect de la ville quand on l'approche par la mer, on se tromperait étrangement si l'on s'imaginait que son voisinage immédiat offre cette nature des- séchée et torride, que l'on est naturellement porté à croire l'un des caractères distinctifs de la terre d'Afrique. Le Sahel ou il/as- sif d' Al fjer oiïvQ une végétation aussi riche, aussi agréable à l'œil qu'aucun des terroirs qui environnent les capitales de l'Europe. jVon-seulement des maisons de campagne et de plantureux jar- dins s'offrent de tous côtés à la vue, mais encore le paysage est merveilleusement accidenté et réunit les éléments les plus variés d'une beauté éminemment pittoresque. Campbell n'a rien exa- géré en parlant dans ses Lettres de fleurs sauvages, de sites et de cours d'eau dignes en tout point d'un vallon écossais. aussi se reproduisent les mêmes oppositions que nous avons observées dans les rues de la ville, la végétation de l'Orient et celle de l'Occident, ou, pour parler plus exactement, la végé- tation du Nord et celle du Midi. Le bananier y croît à côté de l'aubépine, l'olivier à côté de l'ormeau, et l'on y cueille le chè- vrefeuille au milieu des figuiers, des lianes et des aloès.

Le Sahel s'avance dans l'intérieur. A une profondeur de quelques milles seulement et derrière cette chaîne s'allonge la vaste plaine de la Metidja, longue d'à peu près quatre-vingt-dix milles et qui, débouchant sur la mer par ses deux extrémités, forme le second trait caractéristique le plus frappant des envi- rons d'Alger. Vue du Sahel, cette plaine rappelle tout d'abord la campagne de Rome. Comme celle-ci, elle s'étend sur un sol conti- nuellement uni, et la muraille de hautes montagnes qui la borne au sud et fait le fond du tableau peut très-bien se comparer à la ligne des collines du pays sabin. Malheureusement ce n'est pas seulement sous le rapport du pittoresque que la Metidja res- semble à la campagne de Rome, c'est encore sous celui de la désolation. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Shaw dit que de son temps (il y a cent trente ans environ), c'était une plaine riche et délicieuse, arrosée en tous sens par un grand nombre de sources et de ruisseaux; qu'elle était couverte des maisons de rarnpagiK! ot des fermes dos iirincipniix habitants d'Alger ; qu'elle approvisionnait la ville et qu'elle produisait du lin, du henné,

l'algérie. 13

des racines, des herbes potagères, du riz, des fruits et des grains de toute espèce. Et cependant, à l'époque oii Sliaw écrivait ces lignes, la mauvaise administration des Turcs avait déjà flétri de son souffle impur ce pays si florissant sous les Arabes, et les pre- miers pas étaient faits dans cette voie de décadence que la guerre de la conquête française a fait dégénérer en une ruine com- plète. Le général Daumas reconnaît que la Metidja est encore, en plusieurs endroits, un désert pestilentiel et qu'il faut au moins une génération avant de rendre ce sol ce qu'il était. Il est vrai, en eff'et, qu'en quittant le Sahel on laisse derrière soi toute végéta- tion féconde et florissante. Pour gagner le terrain plat on traverse d'abord la même nature avare, les mêmes arbustes rabougris qu'on voit aux environs de Civita-Vecchia, à cette difi"érence près que le palmier nain y croît parmi le genêt, le houx nain et le jonc fleuri. Mais toute la portion centrale de la plaine n'était encore, il y a quelques années, qu'une vaste friche semée par-ci par-là d'un village indigène ou d'un camp fortifié.

Nous touchons maintenant au mont Atlas, à environ trente milles au sud d'Alger. La ville de Blidah, qui se trouve immé- diatement au pied de la chaîne de montagnes, était autrefois re- nommée pour ses charmants bosquets d'orangers, et Abd-el- Kader se rappelle encore le temps sa beauté était proverbiale, comme celle de Brousse, sa dernière résidence, ou de Damas, son domicile actuel. Mais le voyageur sera désappointé, aujour- d'hui, s'il s'attend à trouver dans Blidah un Damas ou un Brousse africain, avec l'Atlas pour Liban ou pour Olympe mysieu. Il est vrai que quelques charmants bosquets d'orangers, sur la lisière la plus reculée de la Metidja, sont encore en fleur ; mais Blidah est tristement changée, en partie par suite d'un tremblement de terre, mais bien plus encore par suite des terribles combats qui s'y sont livrés en 1830 et dans le cours des années suivantes, lorsque, le fer à la main, les Français se frayèrent un chemin à travers les premiers défilés du mont Atlas. Le lecteur devra franchir avec nous ces passes de glorieuse mémoire pour par- venir à un point plus élevé d'où il puisse embrasser, en quelque sorte à vol d'oiseau, tout le pays compris sous le nom d'Algérie française.

Le véritable Atlas des poètes, « avec sa tête dans les nuages et

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ses pieds dans le sable, » ne se trouve pas du tout, qu'on s'en souvienne bien, dans l'Algérie française : il est situé plus loin à l'ouest sur les terres du sultan de Maroc. Mais un vaste système de montagnes qui se relie à ces cimes célèbres s'étend, sans in- terruption, parallèlement à la Méditerranée, en allant gagner à l'est la régence de Tunis, après avoir traversé l'Algérie. La chaîne de ce qu'on appelle le petit Atlas, courant ouest-sud-ouest, dans la direction de l'Qcéan, partage en deux moitiés allongées toute la partie comprise entre le grand Atlas et la Méditerranée. Celle de ces moitiés située le plus au sud est le Sahara, région de sauvages défilés et de vastes plateaux couverts de pâturages. L'autre est le Tell, contrée cultivée, rapprochée de la côte, entre- coupée plus ou moins irrégulièrement de montagnes s'irradiant des chaînes principales. Le camp fortifié de Boghar est un com- mode point de repère géographique, non-seulement pour le Tell et pour le Sahara, mais encore pour tout le pays à l'est et à l'ouest, réduit aujourd'hui à l'état de province française : deux caractères physiques bien marqués peuvent guider notre examen de ces directions opposées. A lest, nous avons une région mon- tueuse appelée Kabylie, qui, partant du point nous sommes, va rejoindre la mer et longe le rivage ; ces montagnes ont été le théâtre des plus grandes difficultés qu'aient encore rencontrées les armées françaises en Afrique. A l'ouest, nous suivons la ri- vière du Chélif, cours d'eau fameux dans les légendes arabes et qui, prenant sa source au-dessous des hauteurs s'élève le fort de Boghar, coule, en décrivant de nombreux détours, dans la direction do Tlemcon, la première résidence d'Abd-el-Kader.

Le terme Kahijlv: que nous employons ici n'implique pas que cette partie de l'Algérie soit la ceule qu'habite la race guerrière des Kabyles, mais c'est la région ces farouches et hardis mon- tagnards ont opposé la résistance la plus acharnée aux envahis- seurs successifs du nord de l'Afrique. Les Turcs ne les ont ja- mais soumis. Les Français n'y ont réussi complètement que cette année même, 1858 ^ Cotte circonstance ainsi que les parti- cularités physiques qui la rendent redoutable ont fait donner à cette contrée la dénomination expressive de Grande Kahijlie. Il

» En 1848. les hahitanls jlr la grande k;iliylic (layaient un Irilml et élaiont res-

L ALGÉRIE. 15

est diflicile de déterminer les frontières exactes de la grande kab} lie ; mais nous ne croyons pas nous tromper de beaucoup en portant à cent cinquante railles la longueur de son parcours entier sur la côte, en partant à Test d'Alger. La même distance de cent cinquante milles répétée encore une fois nous conduirait à la limite extrême de TAlgcrie, dans cette direction. Dans l'intérieur de celte partie orientale des possessions françaises s'élève la ville de Constantine, l'ancienne Cirta, non moins re- marquable par la position extraordinaire qu'elle occupe que par la manière dont elle se trouve mêlée aux épisodes les plus émou- vants de l'histoire de l'Afrique. C'est que Jugurtha assiégea et assassina son cousin Adherbal. C'est que Marins caserna ses légions victorieuses. C'est que le roi Juba P'' tint sa cour. Jules César fit exécuter dans cette ville de grands tra- vaux et lui donna le nom de Julia. Constantin la rebâtit, lui laissa le nom qu'elle a gardé et qui rappelle les martyres des chrétiens ainsi que les schismes de leur religion, et dans ces dernières années quelques-uns des plus grands exploits des armées françaises modernes contre les Arabes et les Maures. Perchée sur un rocher qui lui sert comme de piédestal, dominant un ravin effroyable, au milieu d'un paysage triste et sauvage, et isolée de trois côtés par des précipices d'une profondeur, en quel- ques endroits, déplus de deux cents mètres au-dessus du lit du Roumel, Constantine a tous les dehors qui siéent aux étranges événements qui l'ont rendue tant de fois célèbre depuis les jours de la république et de l'empire romains. Il existe encore des mo- numents de ses anciennes splendeurs. Quand les Français s'em- parèrent de la ville, en 1837, ils y trouvèrent debout de grands arceaux romains qui dominaient les mosquées et les maisons empestées des habitants comme les chênes dominent les brous- sailles. Les débris romains, en effet, forment un des traits ca- ractéristiques de toute cette partie de l'Algérie. Cirta était elle- même le centre des grandes routes de Numidie. Lambessa a été longtemps le quartier général de la seconde légion, et c'est

ponsables de la sûreté des voyageurs; mais autrement ils étaient indépendants. Sur l'excellente carte de VHinéraire de l'Algérie (1855), les mots Kahylie indépendante couvrent les montagnes du Jurjura, et les mots Saheb insoumis sont tracés à la suite dans la direction de Bone.

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qu'a été trouvée la plus grande partie des quatre mille inscrip- tions recueillies en Algérie et publiées par M. Léon Renier et le commandant de La Mare.

Si, maintenant, nous retournons à Boghar, et que, nous diri- geant à l'ouest du côté du Maroc, nous suivions la ligne du Chélif, nous rencontrons l'embouchure de cette rivière à environ cent cinquante milles d'Alger. A cent cinquante milles encore plus loin, nous atteignons l'autre frontière de l'Algérie, pres- qu'au méridien du cap de Gat, ou au point la côte espa- gnole fait un brusque détour de l'est au nord.

La profondeur du Chélif varie d"un extrême à l'autre, selon les saisons. Quand le professeur d'Oxford, Shaw, le traversa en automne, il le trouva presque aussi gros que l'Isis réunie au Cherwell. Dans sa correspondance. Saint- Arnaud se plaint des inondations qui, au mois de décembre, entravaient ses mou- vements militaires, et, dans une autre lettre, il dit que cette même rivière qui, pendant six mois de l'année, est presque à sec, coule à pleins bords à d'autres époques, aussi forte que le Rhône ou la Loire. Les rives en sont escarpées, et, dans la saison sèche, son lit sinueux ne s'aperçoit que quand on en est tout à fait proche. Sidi-el-Arhibi , aglia de Mosta- ganem, était, dit la légende, un chef renommé pour ses riches- ses, son courage et sa piété. Un jour, sa fille alla puiser de l'eau au seul puits que possédât le pays ; les Arabes l'assaillirent de railleries et d'injures, et la renvoyèrent avec sa cruche vide. Sidi-el-Arhibi, plein de fureur, songea dans le premier mo- ment à se venger ; mais il contint sa colère et médita en si- lence; puis, se tournant vers la Mecque et invoquant le Pro- phète, il maudit le puits, qui se dessécha immédiatement. Ce- pendant, ne voulant pas que la malédiction fût sans remède, et sachant qu'il avait le pouvoir de faire le bien comme le mal, le saint homme sauta sur sa jument favorite et partit à fond de train vers la mer. Derrière lui, à mesure qu'il galopait, une ri- vière se fraya un lit. La journée était brûlante, et la jument, tourmentée par les mouches, se frappait les flancs de sa longue queue. C'est ce qui a formé les détours du Chélif. Les bords escarpés et difficiles de la rivière sont un châtiment infligé aux descendants des hommes inhospitaliers qui insultèrent la lille

L ALGERIE. 17

de Sidi-el-Aihibi^ La fable arabe que nous venons de rapporter à l'appui d'un fait géographique a au moins cela d'utile qu'elle nous donne une certaine idée du cours particulier de la rivière. En deçà du Chélif (c'est-à-dire sur la partie la plus rapprochée d'Alger), les deux points les plus intéressants qu'offre la côte sont Tenez et Cherchell : la première de ces villes, située presque sur l'emplacement de Cartonna, colonie romaine fondée sous Auguste pour la seconde légion ; la seconde, bâtie par le roi Juba en l'honneur du même empereur, comme Césarée l'avait été par Hérode en Palestine, et conservant encore dans son nom, ainsi que Saragosse, une faible trace du patronage qui lui a donné naissance-. Si, traversant le Chéhf, nous poussonsà l'ouest, l'intérêt historique change aussitôt, et l'antiquité fait place à l'histoire moderne. Notre pensée n'est plus avec Jugurtha et l'em- pire romain, avec Constantin et saint Augustin, mais plutôt avec la Réforme et l'histoire moderne de l'Italie et de l'Espagne. Le prêtre dont le nom se rattache le plus étroitement à cette partie de la côte, c'est le cardinal Ximénès, qui abandonna pendant quelque temps sa chère université d'Alcala et la préparation de sa Bible polyglotte pour aller prendre Oran. Ce fut l'établisse- ment en cette ville des réfugiés de Grenade qui fut le principal stimulant de la croisade de 1503.

L'ombre de Ximénès plana ensuite, dit-on, à toutes les heures de danger sur les fortifications de la ville qu'il avait conquise en Afrique sur les infidèles. Les Espagnols conservèrent la place sans interruption pendant fort longtemps, bien que leur autorité y devînt de moins en moins solide. Ils en étaient encore en pos- session du temps de Shaw, et ils ne l'abandonnèrent définiti- vement qu'en 1790, année dans laquelle un tremblement de terre la rendit inhabitable. Aussi, quand les Français y arri- vèrent,, ils y trouvèrent non pas des mosaïques et des bains romains, mais des églises latines modernes et des fortifications élevées sous Charles-Quint. Aujourd'hui elle renferme dix raille Européens ; c'est la seconde ville de l'Algérie et la capitale de la province de fouest, comme Constantine l'est de celle de fest.

L'Algérie, ou l'Afrique française, aurait sur le littoral de la

* AUjeria and Tunis, in -1845; by captain Kennedy and lord Fielding.

* Cherchell est une corruption de Cœsarea Jol, et Saragosse de CœsareaÂugusfa.

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Méditerranée une étendue d'environ six cents milles *. Sa pro- fondeur dans la direction de l'Afrique centrale est trop irrégu- lière pour être déterminée ici avec exactitude. Les Arabes et leurs conquérants entretiennent sans doute des vues différentes à cet égard. Peut-être ne serait-on pas loin de la vérité en disant que cette profondeur varie de cinquante à deux cent cinquante milles. Sous Vun et l'autre rapport, les possessions françaises coïncident presque avec celles de la Rome impériale. L'histoire des premiers temps de l'Algérie, tant classique que religieuse, est spécialement romaine ; car l'empire commercial des Tyriens et des Carthaginois est disparu sans laisser aucune chronique. Le nom latin d'Al- ger était encore, dans ces derniers temps, tout à fait incertain, Dapper et, après lui, Forbiger ont pensé qu'il répondait h celui d'Iol. 3Iannert penchait pour lomnium, ville plus éloignée à l'est. Les matériaux nécessaires à la solution du problème ont toujours été dans les mains des savants de l'Europe ; mais une erreur in- vétérée a fait, pendant un grand nombre d'années, reculer trop loin à l'ouest toutes les villes anciennes situées sur cette partie de la côte d'Afrique. L'invasion française, qui a ramené l'atten- tion sur ce sujet, a fourni à la science des antiquaires le moyen de recouvrer ce qu'elle avait perdu depuis longtemps. Les situa- tions véritables des villes romaines ont été vérifiées une à une par une comparaison plus exacte des distances, mais plus encore peut-être par la permanence des noms qui se rattachent étroite- ment aux ruines existantes, et Alger est de nos jours reconnu pour être l'ancien Icosium. Les circonstances dans lesquelles il est fait mention pour la dernière fois du mot Icosium dans les annales historiques ont trait à la chute de l'empire d'Occident et à la guerre des Vandales, et elles nous rappellent le nom du plus noble personnage qui ait jamais illustré le sol de l'Algérie. Ce n'est point trop dire en effet que d'affirmer que le nom de saint Augustin est, depuis saint Jean, le plus noble de tous les noms de l'Eglise chrétienne. A peu de dislance de la frontière la plus orientale de l'Algérie, est la grande ville moderne de Bone, et, à deux ou trois kilomètres delà, les ruines, aujour- d'hui couvertes de mousse, d'Hippone. C'est que, durant un

1 Le lilloral de l'Algérie embrasse plus de 10 degrés.

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épiscopat de trente-quatre ans, le grand docteur, non-seulement donna l'exemple d'une piété, d'une charité, d'une humilité sans égales, et soutint contre toutes les formes dhérésie la lutte énergique qui a fait de lui l'homme le plus illustre de l'Eglise du cinquième siècle; mais encore c'est que, d'année en an- née, il composa ces traités, ces sermons, ces commentaires, tous ces écrits mémorables qui ont exercé sur les siècles sui- vants une si large influence.

La prière que, pendant le siège des Vandales, le saint évêque adressait à Dieu était que le Seigneur délivrât ses serviteurs des ennemis, ou quil les douât de patience, ou qu'il le retirât du monde pour le rappeler à lui. Ce fut le dernier de ces vœux qui fut exaucé. Augustin, qu'affligeait si profondément la chute de l'empire dOccident, n'eut pas la douleur de voir la ruine de sa patrie et de son troupeau. La guerre des Vandales a été un épi- sode terrible dans Thistoire du nord de l'Afrique. Le règne des Vandales a été la lugubre inauguration de la barbarie, de la pi- raterie et de l'esclavage dont ces rivages ont été ensuite pendant tant de siècles le théâtre par excellence.

La grande scission entre l'histoire ancienne et l'histoire mo- derne de l'Afrique septentrionale fut effectuée non par le torrent de l'invasion vandale se ruant du détroit de Gibraltar, mais par un autre torrent qui se précipita du point opposé. A vrai dire, le démembrement avait commencé avant l'entrée des mahomé- tans. Les soldats byzantins s'étaient révoltés. Les Vandales avaient été presque entièrement exterminés. La population in- digène reparut, et des hordes descendues de l'Atlas sillonnèrent le pays que la civilisation romaine avait couvert de moissons, de routes et de colonies militaires. Ce fut alors que les conquérants arabes débordèrent de l'Egypte et, dans le cours de la dernière moitié du septième siècle, imposèrent leur religion sur toute la côte méridionale de la Méditerranée. Les églises furent converties en mosquées, la langue arabe se répandit avec le Koran. L'Orient empiéta rapidement et incessamment sur l'Occident. C'est de cette époque, à ce qu'il paraît, qu'il faut dater l'introduction et la domestication du chameau dans le nord-ouest de l'Afrique. Cette circonstance seule suffit pour indiquer les progrès de l'élément oriental et de la décadence complète de la civilisation de l'em-

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pire d'Occident. Les noms mêmes qui servaient à désigner les habitants de ces contrées subirent à cette époque un change- ment radical. Ceux qu'on avait l'habitude dénommer les Numi- des (nom grec employé dans l'origine pour caractériser les par- ticularités d'une vie nomade) furent dès lors appelés Berbers {terme dérivant sans doute de la même source, et épithète de mépris lancée par les Grecs dégénérés de Constantinople). De^ce dernier nom vient celui de Barbarie, qui a continué même de nos jours à être la dénomination par laquelle on désigna le nord et le nord-ouest de l'Afrique. La dénomination de Maures (Mauri) s'est encore conservée, quoique la signification s'en soit modifiée. Ce serait une tâche difficile, sinon impossible, que d'embrasser dans leur ensemble les changements ethnologiques et politiques de cette époque, de classer les peuplades qui ont combattu contre les Arabes, ou qui se sont réunies à eux dans le Tell et dans le Sahara, et de coordonner les fragments dis- persés des kalifats.

La véritable histoire de la partie de l'Algérie que connaissait la dernière génération ne remontait pas plus haut que l'an 1 500. Deux races musulmanes, les Maures et les Turcs, appellent sur- tout notre attention ici, comme rentrant plus que les Arabes dans les idées générales qu'on a de l'Algérie. Par Maures, dans le sens moderne du mot, on doit entendre les descendants de ces Arabes d'Espagne qui, par un séjour long et glorieux sur la rive nord du détroit, se sont acquis une nationalité distincte. Leur expulsion de la péninsule hispanique a ajouté un puissant renfort aux raahométans de l'Afrique, tant sous le rapport du nombre que sous celui du fanatisme contre les chrétiens. Les dernières années de Ferdinand et d'Isabelle virent surgir, à peu de distance de leurs propres côtes, un ennemi de leur croyance, implacable et vindicatif. Nous avons déjà parlé de la prise d'Oran par Ximénès, de l'occupation et de la possession prolongée de certains points du littoral africain par les Espagnols. Le règne de Charles-Quint ramène sous une nouvelle phase la même histoire. Les Turcs n'avaient aucune affinité ethnologique avec les Arabes d'Afri(pie ou d'Espagne, quoiqu'ils leur fussent unis par le lien d'une religion commune et qu'ils fussent destinés, en raison d'un(! force et cVuiie (;niaulé plus grandes, à devenir

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leurs dominateurs. La manière dont une poignée de Turcs s'em- para des Etats Barbaresques est un des épisodes des troubles qui ont agité le commencement du sixième siècle. Ce fut l'an- née même Charles succédait a Ferdinand sur le trône d'Ara- gon et de Castille, que deux frères, Baba-Haroudj et thair-el- Din, iils d'un potier de l'île de Lesbos, en récompense de leurs audacieuses et heureuses pirateries, reçurent du roi d'Al- ger l'invitation de venir lui prêter secours contre les chré- tiens. L'aîné, nommé Barberousse, à cause de la couleur de sa barbe, ne tarda pas à se rendre maître de la ville au secours de laquelle il était accouru, et se proclama roi. Les expéditions qu'il fit et les désastres qu'il causa sur les côtes de l'Europe engagè- rent Charles à envoyer des renforts à Oran, et, dans une bataille qui se livra près de Tlemcen, le fameux forban fut tué par un sergent espagnol. Son frère (appelé souvent Barberousse II) fut plus heureux ou plus adroit. Il eut la sagesse de placer le terri- toire d'Alger sous la protection du Grand-Seigneur, et il reçut une garnison de soldats turcs. Lui-même fut fait capitan-pacha et, en même temps qu'il exerçait à Constantinople l'influence d'un heureux courtisan, ses flottes continuaient à écumer la Méditerranée. Tunis fut le champ de bataille le corsaire eut à se mesurer avec Charles-Quint. Une trahison infâme avait livTé cette ville au sultan, et, avec ses fortifications nouvelles, Tunis éiait devenue un nouveau repaire de forbans. A la fin, le mal avait crû à un point tellement intolérable, que l'empereur confia à son grand amiral Doria le soin d'aller châtier les bandits. Après une résistance désespérée, Tunis finit par se rendre. Les Turcs en furent chassés, et le prince maure légitime fut rétabli sur le trône, à la condition de se reconnaître vassal de l'Espagne, en même temps que vingt mille esclaves, rendus à la liberté, al- lèrent proclamer dans tous les coins du monde chrétien les louanges de leur hbérateur. Ceci se passait en 1535. En 1541, Charles-Quint tenta contre Alger une entreprise du même genre ; mais celle-ci eut des résultats bien différents. Jamais flotte, à l'exception peut-être de la fameuse Armada lancée plus tard contre les côtes d'Angleterre, n'essuya un plus complet désastre. Dans les deux cas, les causes furent les mêmes. Etrange coïn- cidence historique qu'une tempête ait servi à protéger les libertés

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naissantes de l'Angleterre, et qu'une tempête aussi ait servi à favoriser les progrès du crime sur les côtes barbaresquesl Rien n'avait plus illustré le règne de Charles-Quint que l'expédition contre Tunis, rien ne fut plus désastreux que l'expédition contre Alger.

C'est ainsi que la chute de Tunis contribua à rendre Alger plus puissante et à en faire la capitale de la piraterie. Dès cette époque, la ville prit la forme qu'elle a conservée pendant trois siècles. Il est vrai que les Arabes du moyen âge avaient utilisé les matériaux de l'ancien Icosium, et en avaient construit leurs maisons sur l'emplacement même de la vieille cité romaine ; mais les Turcs s'implantèrent d'une façon plus solide; ils élevèrent des fortifications et améliorèrent le port. Quelques îlots de roches (El Djezair) de la baie d'Icosium avaient fait donner à la ville le nom arabe qu'elle porte. Un môle considérable réunit ces îlots avec la terre ferme; à partir des forts qui défendaient les deux havres ainsi créés, on fit passer des murailles par-dessus le pre- mier versant du Sahel, et on les prolongea jusqu'au point la Casbah couronne le tout. Les maisons situées en dedans de cette enceinte s'échelonnaient en gradins sur la colline, de manière que du toit en terrasse on avait une perspective complète de la mer, La ville devint, pour le coup d'œil, ce qu'elle était à l'époque lord Exmouth vint, en 1816, mouiller sous ses bat- teries. Tant qu'a duré la domination turque, c'était expressé- ment la ville d'Alger qui gouvernait tout le pays, nominalement pour le sultan, mais en réalité pour les deys et leurs hordes de pirates. Sur le quai de ce port et dans ces murailles, une poignée d'hommes de la race dominante dictait des lois aux Arabes de la plaine de la Metidja, tenait en échec les Kabyles des montagnes, faisait des Maures les fonctionnaires du gou- vernement, pillait et opprimait les juifs, et insultait systémati- quement les quelques résidents chrétiens qui étaient hbres. Il ne paraît pas que le nombre des soldats turcs levantins qui formaient leiïeflif de la garnison d'Alger dépassât de beau- coup le chiffre de cinq mille hommes. Shaw porte la population de la ville à cent mille mahoraé.tans et quinze mille juifs, avec deux mille esclaves clirétiens. Le pays, non compris le territoire situé immédiatement autour de la ville, était divisé en trois provinces,

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qui ont servi de base à la subdivision française actuelle. Les beys des provinces de Tlemcen à l'ouest (qui correspond à la province française d'Oran), de Titteri au sud, et de Constantine à Test, étaient nommés par les deys, pour qui ils percevaient les im- pôts, et par qui ils étaient secourus avec les forces d'Alger, en cas d'insurrection. On peut juger de l'importance relative des trois provinces, en calculantqueTlemcen rapportait 45,000 pias- tres, Titteri 12,000 et Constantine 90,000. Les données man- quent pour établir une chronologie complète des deys ; d'ailleurs l'histoire n'a guère besoin d'une hstc de personnages si méprisa- bles. Ils se succédèrent fort rapidement ; car le gouvernement n'é- tait pas héréditaire comme à Tunis et à Tripoli. Chaque dey était élu par les janissaires; aussi il y en eut à peine un sur dix qui mourut dans son lit. Tout soldat hardi et ambitieux pouvait se regarder comme un héritier présomptif du trône, ayant de plus l'avantage de ne pas être dans la nécessité d'attendre que la ma- ladie ou la vieillesse eût emporté le souverain du jour. La corrup-